- Éloge de la publicité, par un enfant de la pub.
Comme pour toute activité économique, la publicité connait ses cycles. Des heures de gloires et des périodes plus sombres, des évolutions et des révolutions. Évidemment l’avènement du digital et la mutation des usages par les audiences ont profondément transformé l’objet publicitaire. Ces dernières années les agences ont eu la publicité honteuse, et beaucoup ont choisi de ne plus assumer d’être ce qu’elles sont : des agences de pub. Et si nous assistions à un retour en grâce de la publicité ?
Tribune publiée le 18/12/24 sur le blog des Stratèges.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours porté une attention particulière à la publicité. Avec un grand-père peintre en lettres publicitaires, un papa et un oncle patrons d’agence, c’était écrit me direz-vous. Mais je crois surtout que j’ai toujours aimé ça. Moi. Profondément. Pas parce que je suis petit-fils, fils et neveu de publicitaires, mais parce que ça me parle. Ça me fascine même.
Évidemment, à 3 ans ce sont les publicités pour les figurines Maître de l’Univers qui m’intéressaient le plus, et mon jugement copy était plus porté par le rêve d’acquérir ces trésors que par la qualité du concept déployé par les agences.
Mais, très rapidement, je me suis intéressé à la pub, toute la pub.
Il faut dire que je suis né en 1982, époque bénie de la publicité, la grande publicité, celle qui marque une génération si fort qu’elle entre dans les mœurs. Un âge d’or à une époque où il n’y avait que 6 chaines télé, pas de replay, pas de smartphone, pas d’ordinateur dans les foyers, pas de DOOH, pas de réseaux sociaux. Bref, peu de canaux, mais des canaux puissants qui réunissaient 60 millions de Français qui voyaient tous la même chose en même temps.
Je suis donc passé très vite des pubs pour les jouets aux grandes campagnes, aux grandes signatures de marques que je peux encore réciter de mémoire tant elles sont imprimées en moi. À cette époque, les pubs de voitures étaient hyper créatives. Pas une simple démo produit, il fallait que ça claque, qu’on s’en souvienne, qu’on raconte une histoire, qu’on pose un imaginaire de marque qui donne envie d’être de la partie. Les campagnes Citroën CX2 avec Grace Jones (quelle claque !) ou Visa GTI sur un porte-avions (quel annonceur produirait un tel spot IRL en 2025 ?), la campagne Clio « Elle a tout d’une grande » (difficilement imaginable aujourd’hui). Et puis ces grandes signatures de marques dont certaines ont traversé les âges ou refait surface récemment : « Pas d’erreur c’est Lesieur », « Chambourcy, oh oui », « Perrier, l’eau, l’air, la vie », « Nestlé, c’est fort en chocolat », « SNCF c’est possible », … Sans oublier les grandes sagas que l’on attendait comme les campagnes Levis ou les Kookaïettes.
Il faut dire qu’à l’époque, la publicité était tellement présente dans notre quotidien qu’elle était aussi moquée et détournée entre deux tunnels par des génies comme Les Nuls (je ris encore de Tonyglandil) ou les Inconnus (la finesse du Père Ducrasse), ce qui donnait encore plus d’écho aux campagnes qui devenaient des objets (pop)culturels à part entière.
On voyait tous la même chose, nous avions tous les mêmes références et nous avons construit un imaginaire collectif assez homogène.
Une époque riche en créativité, donc. Mais ne nous voilons pas la face, les années 80 c’est aussi les années fric, les golden-boys de la pub au teint hâlé toute l’année, la coke, le sexisme, voire, le racisme (nous avons du mal à revoir aujourd’hui les campagnes « Bamboula St Michel »).
Et la technique pris le pas sur l’idée.
Puis, Internet est arrivé accompagné de sa révolution progressive, mais radicale.
Quelques années après une loi Sapin qui a profondément redéfini le marché, l’évolution de la pub s’est accélérée.
La grand-messe du JT de 20h ou Nulle Part Ailleurs, les grands films du mardi et du dimanche soir, ont cédé leur place à une offre télé pléthorique et protéiforme. Il y en a pour tous les goûts, on se disperse, chacun à son RDV fétiche, matte et zappe en double écran, consomme un peu de programme entre 2 scroll Insta, une commande Super U et l’achat d’une paire de chaussettes sur Veepee. Une soirée dans un foyer, c’est parfois 3 programmes différents en simultanés.
Nécessairement, la pub a dû s’adapter, évoluer, aller chercher les audiences là où elles sont, quand hier les audiences allaient d’elles-mêmes, comme par réflexe pavlovien, où était la pub. Évidemment, cela ne s’est pas fait en un jour, cela a été progressif. Les années 2000 nous ont encore gratifié de grandes campagnes mémorables comme la saga leg. pour Eurostar, les films Evian babies ou Citroën C4 avec le transformer Ice Skater. Puis les smartphones ont envahi notre quotidien et la pub a dû opérer sa mue. Les annonceurs (qui ne maîtrisaient pas ces nouveaux usages et la complexité technique qui en découle) ont demandé aux agences de devenir expertes pour pouvoir communiquer auprès de ces audiences et les toucher dans leurs nouveaux usages. Des mots comme algorithme, programmatique, responsive, retargeting, sont devenus les sésames de la performance publicitaire.
On a délaissé le concept pour se concentrer sur la technique. Être là, exister, inciter au clic. Pour la créativité et l’intelligence, on repassera.
Les rédac’ ont délaissé les grandes accroches et sont devenus concepteurs, les DA ont grossi les logos de leurs clients. On cherchait le dispositif avant la grande campagne qui marque une génération. Un stunt sur une place publique dont la vidéo devient virale, la campagne télé comme prétexte pour renvoyer sur une page Youtube.
Attention, la créativité nait de la contrainte. Et ces années nous ont offert de magnifiques campagnes qui resteront (à commencer par l’incontournable campagne Tipp-ex qui a lancé Buzzman), et non ce n’était pas mieux avant !
La pub est devenue plus inclusive, moins sexiste. La profusion de canaux et la technologie ont incité les agences à être plus créatives, à inventer des choses qui n’existaient pas avant. Mais, les mots et les grands concepts ont disparu (ou presque).
Pour un temps.
Retour en grâce.
Car oui, nous assistons au grand retour de la publicité ! Comme après toute révolution, quand les lames sont rangées dans les fourreaux et que le sang a cessé de couler dans le caniveau, on revient aux fondamentaux, en intégrant le meilleur de ce que la révolution a apporté. C’est darwinien : la pub a su (dû) évoluer et s’adapter à son nouvel environnement pour survire, en retrouvant son ADN qui a fait ses heures de gloire.
Les rédac’ (trop peu nombreux sur le marché hélas) reviennent à la rédaction, sans avoir abandonné la conception et les DA s’appliquent à nouveau à des mises en pages léchéeset exigeantes. Et ce retour en grâce est accompagné de l’avènement de l’IA qui change considérablement notre métier. Finies les maquettes cracras, avec des photomontages approximatifs, des crobards ou des roughs (il faut reconnaître en revanche que pour les roughmen, les temps sont durs), on présente aujourd’hui des maquettes incroyablement réalistes qui permettent au client de se projeter sur la campagne finale (revers de la médaille, il faut aussi expliquer aux annonceurs qu’une maquette IA n’est pas un visuel def, et réussir à vendre une prod photo, n’est pas une promenade de santé !). Un nouvel outil formidable au service du concept et de la créativité.
Parce que c’est ça la publicité : un concept créatif. Sans concept, la pub, c’est juste con. Philippe Michel, génial et regretté fondateur de l’agence CLM BBDO a intitulé son bouquin « C’est quoi l’idée ? ». Il parait qu’il commençait toujours ses points créa en posant cette question à ses créatifs. Il avait raison et tous les patrons d’agences et les créatifs ne devraient avoir que cette obsession en tête ! Trouver un concept fort, différenciant, déclinable, positionnant. Car c’est comme cela que l’on construit une marque, un imaginaire, une image. Beaucoup d’agences se revendiquent expertes en story-telling, mais avant de raconter une histoire, il faut avoir l’idée ! La fameuse « big idea », à laquelle personne n’a pensé avant, qui sera remarquée et fera parler. Story-teller pourquoi pas, mais ce n’est qu’un moyen, pas une fin en soi.
Les bonnes agences sont celles qui savent se réinventer. Les grandes agences sont celles qui nous bousculent et nous emmènent là où personne ne nous a emmené avant. Les très grandes agences sont celles qui inventent et ne se prennent pas au sérieux. Parce que, David Ogilvy l’a écrit dans sa bible « La publicité selon Ogilvy », un bon rédacteur doit avoir de l’humour. Faire rire (ou au moins sourire), c’est l’émotion suprême, celle qui fait du bien, celle dont on se souvient, celle qui nous marque. Mais ne pas se prendre au sérieux, c’est très sérieux et cela demande beaucoup de travail. Ne croyons pas que la pub, c’est facile. Trop de jeunes publicitaires en devenir, alternants ou juniors, croient encore qu’il suffit de se poser quelques heures derrière un Mac pour tomber une bonne campagne. Hélas non. C’est plus difficile que cela la pub. Ça demande du travail (beaucoup), il faut aller sur le terrain, dans les points de vente de nos clients, consommer leurs produits et ceux de leurs concurrents, visiter leurs usines, parler à leurs commerciaux, décrypter des études sociologiques pour comprendre les cibles, connaître l’histoire des marques, prendre le bus ou aller dans des bars pour écouter les gens parler, lire la presse, suivre l’actu. Il faut une grande culture générale, s’intéresser à tout, ne rien snober. Pour vendre il faut connaître et comprendre les audiences. Et bien sûr, être créatif.
Ce beau métier de publicitaire (si longtemps décrié) est aujourd’hui dans la force de l’âge. Après l’enfance (la réclame des années 50/60), l’adolescence (l’irrévérence et la créativité foisonnante des années 70/80/90), le passage difficile à l’âge adulte (les années 2000/2010), la pub a aujourd’hui atteint sa maturité !
Et ce beau mot de publicité retrouve du sens et du panache, à une époque plutôt morose, cela fait du bien de lire de nouveau des accroches qui font sourire sur les murs et des films avec de vrais concepts devant sa télé.
La pub, c’est jubilatoire. Vive la pub !
Thomas Guedj.
Président de Magazine&Fils., agence de publicitaires depuis 1982.
Mes pubs cultes : https://www.instagram.com/reel/Ctvc_MEqDUP/